1. Le golfe de
Gascogne
Les sept premières éditions l’ont démontré, le golfe
de Gascogne est un des nombreux « juges de paix » du Vendée Globe. Ce
n’est pas là qu’on gagne la course, certes, mais c’est déjà (ou finalement) là
qu’on peut la perdre. Et ce n’est pas parce que c’est le terrain de jeu
habituel de la plupart des marins qu’ils ne s’en méfient pas. Au contraire. On
ne compte plus les monocoques qui ont payé un lourd tribut au golfe, mâts,
quilles, bouts-dehors et autres safrans — liste non exhaustive — en faisant
régulièrement les frais. C’est qu’on est au milieu de l’automne à l’aller... et
au mitan de l’hiver au retour. Quand les dépressions s’en donnent à cœur joie.
« C’est un
coin que je connais bien. Ça peut être un endroit piégeux. Sur notre route au
tout début et à la toute fin. Ce n’est pas forcément l’endroit le plus simple à
négocier. C’est un peu la particularité de ce parcours-là, c’est qu’on ne sait
pas encore trop à quelle sauce on va être mangés. Ce n’est pas très long à
traverser, non plus, mais on sait que c’est une zone où il va falloir faire
attention.
Dans le
premier cas, en tout début de course, on ne sera pas encore dans le rythme, il
faudra s’y mettre ! Et au retour... L’arrivée du dernier Vendée Globe, c’était un
peu chaud... On sait que ça peut mal se passer.
Ce n’est pas
forcément dans le Grand Sud qu’on peut avoir la mer la plus pourrie, ça peut
aussi être dans le golfe. J’ai un souvenir particulier en Mini 6.50, lors
de la Transgascogne 2007. Trois ou quatre bateaux s’étaient mis sur le
toit... On marchait à 8 nœuds, 9 nœuds, en Mini, c’est déjà rapide, et
puis tu as la lame qui arrive, qui déferle, tu pousses la barre en grand pour te
mettre face à la “mousse”, et en fait, le bateau ne monte pas à la vague ! Tu
pars en marche arrière, sous l’eau... Ça ne s’oublie pas ! »
Mais pourquoi le golfe est-il si terrible ? Situé à
l’est d’une ligne qui va de la pointe bretonne au cap Finisterre en Espagne, il
se caractérise par un plateau continental d’une faible profondeur (moins de
200 mètres), alors que la plaine abyssale qui précède est à plus de
500 mètres. Pour faire simple, la remontée des fonds est si soudaine et si
brutale qu’en surface, elle génère souvent de fort méchantes vagues, surtout
quand le vent s’en mêle. Une mer « casse-bateaux ».
2. Le pot au
noir
Le pot au noir est une zone de vents variables, en
force comme en direction, située à la rencontre des systèmes d’alizés des deux
hémisphères, en moyenne entre 5° et 3°
Nord. Il est parfois très étendu, plus ou moins actif... mais toujours particulier
à franchir. Véritable bête noire du navigateur solitaire, c'est une zone de navigation souvent pénible où les
vents varient très rapidement, avec des précipitations parfois violentes. Les
conditions météo peuvent passer sans transition de la pétole à des grains
brutaux ! Les météorologues, eux, parlent de ZCIT : zone de convergence
intertropicale.
Wikipedia nous explique : « La zone intertropicale était un grave sujet
de préoccupation pour les marins jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Sous ces latitudes, les navires à voiles (surtout les plus lents d’entre eux) pouvaient
rester encalminés plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un climat
malsain, avec des alternances de pluies diluviennes, de grains d’orage, de
risées folles et de calme plat. Aux tourments physiques s’ajoutait un effet
démoralisant d’impuissance face aux éléments. »
Les choses ont-elles beaucoup changé aujourd’hui ?
« Après le
golfe de Gascogne, il y a toute une partie délicate à négocier avec les alizés
portugais, les îles Canaries..., avant d’arriver dans le pot au noir. Je l’ai
déjà franchi trois fois, et... et ce n’est jamais pareil ! Parfois ça passe
comme une lettre à la poste, tu ne t’en aperçois presque pas ; et à l’inverse,
ça peut être l’enfer. C’est ce qui s’est passé en 2009 (victoire dans la
Mini-Transat), je commençais à avoir un
peu d’avance, et là, tout le monde est revenu.
C’est le no man’s land météo,
c’est là où tout se crée, tout se rencontre, c’est très impressionnant. Sur la
dernière Transat Jacques Vabre, avec Adrien Hardy, on y a aussi perdu une
grosse partie de notre avance. Souvent ça se joue à quelques milles près, tu
n’as pas du tout la même chose. Alors tu vises un point moyen, que tout le
monde connaît (la moins mauvaise façon de l’aborder se situerait entre 26°
et 29° ouest), et puis après...
On n’a pas
des bateaux qui vont suffisamment vite pour jouer franchement avec les nuages. Ce
n’est pas un endroit facile, parce que les prévisions sont fausses, on ne peut
pas compter dessus. À la limite, on sait juste s’il est actif ou pas. C’est à
la fois magique et compliqué, surtout pour que ça se passe bien pour toi.
J’ai quand
même prévu de prendre le temps de faire de belles photos, ramener quelques
instants de ces passages-là, des photos, des petits films, pour partager tout
ça. C’est vrai que j’ai des souvenirs de ciels particuliers, des trucs
étonnants. Ça ne ressemble à rien d’autre que l’on connaît, ce ne sont pas des
ciels de traîne, ce n’est pas comme dans un front, là c’est n’importe quoi, ça part
dans tous les sens... »
3. Le passage
de l’équateur
Le record tenait depuis 2004. Jean Le Cam avait alors
parcouru la distance Les Sables-d’Olonne - équateur en dix jours onze heures et
vingt-huit minutes. Alex Thomson aura fait mieux, pour une journée !
Impressionnant.
Le passage de cette ligne fictive, qui marque le
basculement des bateaux dans l’hémisphère sud, a toujours été symbolique. Et
les navigateurs d’aujourd’hui perpétuent, même en solitaire, les traditions
ancestrales venues de la « marine en bois ».
C’est qu’il faut rendre hommage à Neptune et Poséidon,
dieux des mers et des tempêtes chez les Romains et les Grecs, ainsi qu’à Éole, le
maître des vents cher à Homère. Les cérémonies du passage de la
« ligne », par le passé, ne manquaient pas de sel. Elles se réduisent
de nos jours à leur plus simple expression quand on est seul, et... en course. Logiquement,
tous les skippers — même les moins superstitieux — devraient déboucher une
« bonne » bouteille — ça va de la fillette de champagne remise au
moment du départ par les organisateurs à « une bière pas fraîche » pour Thomas Ruyant.
« Marquer
le coup ? On verra. J’ai une bonne
bouteille de bière avec moi, qui n’est pas fraîche, mais bon... La tradition,
ça va être ça, boire un petit coup au passage de l’équateur, et puis voilà. Sur
la Transat Jacques Vabre, Adrien [Hardy]
était à la barre, moi j’étais en train de dormir, et en fait, on a passé
l’équateur comme ça, on s’en est rendu compte une heure après. C’est un endroit
marrant, c’est tout... »
Il n’empêche, les photos et les vidéos des concurrents
perpétuant les us et coutumes des anciens devraient fleurir sur le site
officiel de la course dans les prochains jours...
4. L’anticyclone
de Sainte-Hélène
Celui des Açores, qui la plupart du temps régit notre
météo européenne, est connu comme le loup blanc. Pour ce qui est de
Sainte-Hélène, en revanche, le nom parle plus aux férus d’histoire et aux aficionados
du Petit Caporal – oh pardon, de l’Empereur ! Pourtant, l’anticyclone de
Sainte-Hélène règne en maître dans l’Atlantique Sud, et les coureurs du Vendée
Globe le savent bien. Et doivent composer avec.
Reverra-t-on un jour le « coup » fabuleux
qu’avait réalisé Isabelle Autissier (Écureuil Poitou-Charentes) lors d’Around Alone (ex-BOC Challenge, tour du monde en
solitaire avec escales) en 1994-1995 ? Un choix météo audacieux lui avait fait
« couper le fromage » et tirer tout droit vers Cape Town lors de la
première étape. Christophe Auguin arrivait troisième, six jours plus tard (!!!),
et ne devait finalement l’emporter par la suite qu’à la faveur d’un démâtage,
puis d’un chavirage, de l’ingénieure rochelaise.
« L’anticyclone
de Sainte-Hélène, je connais plus ou moins, puisque lors de mes précédentes
transats, vers l’Amérique du Sud, j’ai dû composer avec. Même si c’était très
ouest, comme destination, par rapport à ce qu’on va faire sur le Vendée Globe. Il
y a peu de probabilités que l’on s’approche aussi près du Brésil, on va essayer
de serrer un peu plus la corde. Après, il est vrai que c’est un endroit
stratégique, et pour moi, c’est surtout là que les premiers “coups” vont se
faire. Ça peut être tentant de couper un peu le fromage plutôt que de
contourner Sainte-Hélène, mais ça peut aussi être tentant d’aller chercher au
plus vite les premières dépressions. Pour moi, c’est un endroit où il peut
commencer à se passer des choses. Il y a des stratégies à mettre en place sur
ce tour du monde, et là, c’est la dernière étape avant le Grand Sud, et
c’est quand même déterminant. Faut pas rater le train. La porte d’entrée est
importante. »
Note. L’entretien
a été réalisé avant le départ, et ne tenait donc pas compte des circonstances
de course, de la position des bateaux, ou du classement.
5. Le cap de
Bonne-Espérance
Enfin ! La première « vraie » marque de
parcours — si l’on excepte l’île Gough qu’il fallait laisser à tribord, chiure
de mouche sur la carte, dont quasiment personne n’avait jamais entendu parler
auparavant. Bonne-Espérance, ça vous a quand même une autre gueule, comme
« bouée bâbord » ! Découvert (officiellement) en janvier 1488 par Bartolomeu Dias, qui le nomma « cap des Tempêtes », il fut rebaptisé cap de
Bonne-Espérance par le roi du Portugal Jean II.
Pour autant, malgré sa position symbolique au sud du
continent africain, il faut attendre un peu avant de quitter l’Atlantique pour
pénétrer dans le perfide Indien, quelque 150 km à l’est, à la longitude du
cap des Aiguilles, qui marque la vraie frontière entre les deux océans. À
partir de là, les bizuths du Vendée Globe se lancent dans l’inconnu. Et les
quarantièmes rugissants ne sont pas loin...
« Bonne-Espérance ?
C’est traditionnellement la porte d’entrée du Grand Sud, encore que selon moi,
la porte d’entrée se situera un peu avant quand même. On pourrait être amenés à
glisser très sud dans l’Atlantique, en fonction de la position de l’anticyclone
de Sainte-Hélène... Mais oui, en tout cas, schématiquement, c’est un premier
symbole, c’est le point d’entrée dans l’Indien.
On quitte
l’Atlantique, donc des mers qu’on connaît, pour entrer dans un autre monde,
inconnu — du moins pour moi —, et attaquer deux nouveaux océans. Mais
Bonne-Espérance, dans ma tête, ce n’est pas... comment dire... C’est moins un
endroit mythique qu’un cap Leeuwin [au
sud-ouest de l’Australie] ou qu’un cap
Horn, où là on aura déjà fait du chemin ! Au Leeuwin, on aura deux océans dans
les pattes, au Horn on en aura trois... Mais bon, c’est la porte d’entrée, je le
répète, vers un gros morceau du Vendée Globe. On a eu quelques briefings
là-dessus, il y a des zones qui ne sont quand même pas simples, ce serait-ce
que pour savoir qui s’occupe de quoi en termes de secours ! On est si éloigné
de tout... »
Pour se préparer à cette situation d’un nouveau genre,
comme souvent, il faut savoir anticiper. La météo, notamment.
« J’ai suivi
des stages avec Jean-Yves Bernot [surnommé “le Sorcier”] et Christian Dumard [ex-tacticien du
défi français de la Coupe de l’America 1994, navigateur reconnu, routeur
de nombreux skippers... et météorologue du Vendée Globe]. C’est notamment lui qui a développé le logiciel Squid [une
plate-forme qui réunit les principales informations météo dont peuvent avoir
besoin les navigateurs ; pour les curieux : www.squid-sailing.com] que l’on a à bord pour récupérer de
l’information météo. Il est très “technique”, assez précis, moins empirique que
Jean-Yves Bernot, par exemple. Alors j’essaie de me nourrir des différentes
approches. »
6. Le Grand Sud
C’est un « tunnel » humide et sombre, inhospitalier
et brutal, qui dure au moins un mois et que seuls illuminent de temps à autre
les albatros, majestueux et hiératiques. Le Grand Sud. Vu du (Souffle du) Nord, là-bas, si loin, il
fait à la fois peur et rêver. C’est sans doute pour ça que les solitaires en
font un objectif majeur.
« Impatient
de le découvrir ? Oui et non, mitigeait Thomas avant le départ. Ça me titille, bien sûr. Après il y a quand
même une certaine appréhension. Appréhension parce que tout simplement je ne
connais pas, et puis qu’on s’en fait aussi toute une idée... Il y a beaucoup
d’imaginaire. On a lu des bouquins, et puis on a eu des retours d’expérience.
Au final,
j’ai étudié des systèmes, des théories sur l’endroit, les problèmes que je
pourrais rencontrer, comment je vais essayer de les négocier, les choses
auxquelles il fallait que je fasse attention... Mais bon, pour l’instant, je ne
connais pas. Je n’ai que des théories sur l’endroit. C’est pour ça qu’il y a un
peu d’appréhension. Je ne sais pas quel est le mieux, l’Indien, le Pacifique...
Dans les deux cas, ce sont des mers australes... Dans l’Indien, on peut avoir
des dépressions un peu plus jeunes, et du coup aussi un peu plus virulentes ;
dans le Pacifique, on devrait trouver une houle un peu plus rangée, plus longue,
et des dépressions un peu plus vieilles. Cela dit, il y aura des points de
passages un peu plus “chauds”, où il faudra faire attention, comme au sud de
l’Australie [le cap Leeuwin, au
sud-ouest, n’est qu’une marque de parcours, la frontière entre Indien et
Pacifique se situant conventionnellement au droit de la Tasmanie] ou ensuite le cap Horn. Mais on n’y est pas
encore... »
L’Indien et ses trains de dépression ? « J’ai un bateau qui peut me permettre
d’avancer correctement, mais ensuite, tout dépend du type de dépression que
l’on rencontre. Certaines ne sont pas très rapides, et quand elles commencent à
s’occlure, à vieillir, on arrive à rester devant et à se déplacer rapidement,
il n’y a pas de soucis. Avec une jeune dépression, en revanche... Le train qu’il
ne faut surtout pas louper, c’est par rapport à la concurrence. Si mes
principaux adversaires ont un système d’avance, ça peut devenir beaucoup plus
compliqué [on a pu le constater avec les différentes cassures au sein de la
flotte lors de la descente de l’Atlantique Sud]. »
Et les icebergs, il y pense ?
« Ce n’est
pas une question que je me pose. Il y a une zone d’exclusion des glaces, c’est
interdit, point. C’est très bien comme ça, pas question d’aller jouer avec les
icebergs. De toute façon, ils remontent déjà pas mal comme ça vers le nord ! »
Propos recueillis par
Captain Tristan
Captain Tristan
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