La première
fois, normal. Titouan Lamazou, comme les douze autres marins un peu fous qui s’engageaient
dans le Vendée Globe Challenge, était un bizuth.
Le tour du
monde à la voile en solitaire n’était certes plus une nouveauté, depuis Joshua
Slocum (Spray) en 1898, mais il
restait une sacrée aventure. Surtout en course, et surtout sans escales. Les
défricheurs d’océans n’étaient pas légion dans le sillage de Francis Chichester
(Gipsy Moth IV), ouvreur
des temps modernes en 1967 et inventeur du Golden Globe Challenge l’année
suivante – qui sacra Robin Knox-Johnston (Suhaili) et sacralisa Bernard Moitessier (Joshua).
Le premier organisait
à son tour, en 1982, le BOC Challenge, course autour du monde avec escales, dont
Philippe Jeantot allait s’octroyer les deux premières éditions. Avant de
pointer en 1989 au départ du premier Vendée Globe, Challenge évidemment (le dernier
terme a disparu dès 1992), qu’il venait d’« inventer ». En supprimant
les escales et l’assistance. Mine de rien, ça changeait tout.
Titouan
Lamazou, donc. Première ligne du palmarès sur le socle du superbe trophée signé
Philippe Macheret. Alain Gautier suivait en 1993. Bizuth lui aussi. Puis
Christophe Auguin en 1997, nouveau bizuth. Michel Desjoyeaux en 2001, Vincent
Riou en 2005 et François Gabart en 2013 en étaient trois autres. En fait, seul « Mich
Desj » a fait prévaloir son expérience en 2009.
Le résumé est
vite fait. Sept éditions, six bizuths vainqueurs. Alors, la huitième, avec ses
quatorze « débutants » ? À qui ?- Des skippers
Vingt-neuf
partants (le record est à trente, en 2008), dix nationalités [voir la liste des engagés ci-dessous], aucune femme cette fois, hélas. Et un sacré défi pour tenter de
prévoir un podium.
Cinq
impétrants : Bertrand de Broc, Jean Le Cam, Jean-Pierre Dick, Vincent Riou
(le seul ancien vainqueur) et Alex Thomson vont rejoindre Marc Thiercelin, Mike
Golding et Dominique Wavre dans le cercle très fermé de ceux qui auront
participé à quatre reprises à l’Everest des mers – aujourd’hui, seulement quatre-vingt-trois
marins, dont sept femmes, ont pris le départ du Vendée Globe ; largement moins
qu’il n’y a eu de « vainqueurs » de l’Everest ou d’humains dans l’espace.
Six marins en
seront à leur troisième participation : Jérémie Beyou, Arnaud Boissières, Armel
Le Cléac’h, Nándor Fa, Sébastien Josse, Kito de Pavant.
Quatre « redoublants » :
Louis Burton, Yann Eliès, Tanguy de Lamotte, Rich Wilson.
Donc : 14
+ 5 + 6 + 4 = 29. Le compte est bon, Jean-Pierre.
- Des bateaux
Chiffres
toujours : le plus ancien coursier (1998) de la flotte, celui de Sébastien
Destremau, n’a aucunement l’intention (et surtout pas les moyens) de galoper
avec les sept nouveaux yearlings. Il n’est pas le seul...
Quand on se
penche sur les pedigrees des uns et des autres, on n’est pas beaucoup plus
éclairé.
D’abord, bateau
neuf, ou pas ? Il y a sept monocoques construits spécifiquement pour ce Vendée
Globe : ceux d’Armel Le Cléac’h, Jean-Pierre Dick, Nándor Fa, Pieter Heerema,
Sébastien Josse, Morgan Lagravière, Alex Thomson, dont six nantis de foils, le
Hongrois Fa ayant préféré une structure classique... donc théoriquement éprouvée.
Six, auxquels il faut intégrer le Maître
CoQ de Jérémie Beyou, seul des vingt-neuf à avoir été largement transformé
pour être équipé de foils. Un gros pari. Sur lequel nous reviendrons.
Pour autant,
le millionnaire néerlandais Pieter Heerema – qui avoue sincèrement : « J’ai rencontré des vents forts en
Atlantique, mais je ne contrôlais pas tout à fait » – peut-il rivaliser
avec un Sébastien Josse, ambassadeur de Rothschild et expert du tour du monde
avec notamment le trophée Jules-Verne ou la Volvo Ocean Race ? Et le prometteur
Morgan Lagravière, fort du soutien de Safran, pourra-t-il aller chatouiller le
bouillant Alex Thomson, emblématique cascadeur d’Hugo Boss, qui rêve d’être le premier
étranger à s’imposer sur le terrain de jeu des « Froggies » ?
Et que miser
sur Jean-Pierre Dick, souvent victime d’avaries à répétition et auteur d’un
insolite record en 2013 après avoir parcouru plus de 2 500 milles sans sa
quille ? On ne peut franchement pas l’écarter, pas plus qu’Armel Le Cléac’h, deux
fois deuxième du Vendée Globe (2009 et 2013), qui revient pour gagner. Il en a les
moyens, la motivation, la monture...
Vincent Riou aussi.
Seul ancien vainqueur (2004) présent cette année, il a fait son choix :
son « vieux » bateau, optimisé à l’envi. Pas de foils, mais un engin fiabilisé
qu’il connaît sur le bout des doigts, avec lequel il est en parfaite osmose. Une
arme de guerre, et un guerrier.
Vincent Riou, seul ancien vainqueur au départ.
(Photo Vincent Curutchet - DPPI - Vendée Globe)
Revenons au
stud-book de nos pur-sang. Il reste nombre d’autres monocoques sur la ligne.
Dont, notamment, le Macif vainqueur
il y a quatre ans, aujourd’hui baptisé SMA,
confié à Paul Meilhat, poulain de Michel Desjoyeaux. Son grave accident cet
hiver au large des Açores lors de la transat Saint-Bath - Port-la-Forêt (bateau
abandonné, hélitreuillage...) a néanmoins sans doute laissé des traces.
Autre ancien bateau
victorieux encore en lice, le Foncia
de « Mich Desj ». Aujourd’hui propriété de Jean Le Cam. Depuis 2007,
le monocoque a couru sous de nombreuses casaques, et récemment remporté la
Barcelona Word Race, en double avec le « Roi Jean » et Bernard Stamm.
Cependant le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro, qui a bouclé son
budget ric-rac dans les dernières semaines, a beau être un animateur patenté de
l’épreuve, il le sera sans doute plus sur les ondes que sur l’onde.
Deux autres
navigateurs ont enfin une bonne raison de repartir : vaincre le signe
indien. L’Indien, Yann Eliès a failli y rester en 2008. Depuis, il s’est offert
trois fois la Solitaire du Figaro (comme Philippe Poupon, Jean Le Cam, Michel
Desjoyeaux et Jérémie Beyou), ce qui n’est pas rien. Quand à Kito de Pavant, l’Indien,
il ne l’a pas encore connu. Démâtage le lendemain du départ en 2008, brutale
rencontre avec un chalutier au troisième jour en 2012... Il a un travail à finir.
Faites vos
jeux, rien ne va plus...
[À suivre : des outsiders, des bizuths,
des aventuriers]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire