30 octobre 2016

Choisir, c’est éliminer

La première fois, normal. Titouan Lamazou, comme les douze autres marins un peu fous qui s’engageaient dans le Vendée Globe Challenge, était un bizuth.
Le tour du monde à la voile en solitaire n’était certes plus une nouveauté, depuis Joshua Slocum (Spray) en 1898, mais il restait une sacrée aventure. Surtout en course, et surtout sans escales. Les défricheurs d’océans n’étaient pas légion dans le sillage de Francis Chichester (Gipsy Moth IV), ouvreur des temps modernes en 1967 et inventeur du Golden Globe Challenge l’année suivante – qui sacra Robin Knox-Johnston (Suhaili) et sacralisa Bernard Moitessier (Joshua).
Le premier organisait à son tour, en 1982, le BOC Challenge, course autour du monde avec escales, dont Philippe Jeantot allait s’octroyer les deux premières éditions. Avant de pointer en 1989 au départ du premier Vendée Globe, Challenge évidemment (le dernier terme a disparu dès 1992), qu’il venait d’« inventer ». En supprimant les escales et l’assistance. Mine de rien, ça changeait tout.


Titouan Lamazou, donc. Première ligne du palmarès sur le socle du superbe trophée signé Philippe Macheret. Alain Gautier suivait en 1993. Bizuth lui aussi. Puis Christophe Auguin en 1997, nouveau bizuth. Michel Desjoyeaux en 2001, Vincent Riou en 2005 et François Gabart en 2013 en étaient trois autres. En fait, seul « Mich Desj » a fait prévaloir son expérience en 2009.
  • Des skippers
Le résumé est vite fait. Sept éditions, six bizuths vainqueurs. Alors, la huitième, avec ses quatorze « débutants » ? À qui ?
Vingt-neuf partants (le record est à trente, en 2008), dix nationalités [voir la liste des engagés ci-dessous], aucune femme cette fois, hélas. Et un sacré défi pour tenter de prévoir un podium.
Cinq impétrants : Bertrand de Broc, Jean Le Cam, Jean-Pierre Dick, Vincent Riou (le seul ancien vainqueur) et Alex Thomson vont rejoindre Marc Thiercelin, Mike Golding et Dominique Wavre dans le cercle très fermé de ceux qui auront participé à quatre reprises à l’Everest des mers – aujourd’hui, seulement quatre-vingt-trois marins, dont sept femmes, ont pris le départ du Vendée Globe ; largement moins qu’il n’y a eu de « vainqueurs » de l’Everest ou d’humains dans l’espace.
Six marins en seront à leur troisième participation : Jérémie Beyou, Arnaud Boissières, Armel Le Cléac’h, Nándor Fa, Sébastien Josse, Kito de Pavant.
Quatre « redoublants » : Louis Burton, Yann Eliès, Tanguy de Lamotte, Rich Wilson.
Donc : 14 + 5 + 6 + 4 = 29. Le compte est bon, Jean-Pierre.
  • Des bateaux
Cela dit, quand on prépare son tiercé, s’intéresse-t-on uniquement au jockey ? Ou plutôt au cheval ? Et là... on plonge dans l’inconnu. Le pot au noir du pronostiqueur !
Chiffres toujours : le plus ancien coursier (1998) de la flotte, celui de Sébastien Destremau, n’a aucunement l’intention (et surtout pas les moyens) de galoper avec les sept nouveaux yearlings. Il n’est pas le seul...
Quand on se penche sur les pedigrees des uns et des autres, on n’est pas beaucoup plus éclairé.
D’abord, bateau neuf, ou pas ? Il y a sept monocoques construits spécifiquement pour ce Vendée Globe : ceux d’Armel Le Cléac’h, Jean-Pierre Dick, Nándor Fa, Pieter Heerema, Sébastien Josse, Morgan Lagravière, Alex Thomson, dont six nantis de foils, le Hongrois Fa ayant préféré une structure classique... donc théoriquement éprouvée. Six, auxquels il faut intégrer le Maître CoQ de Jérémie Beyou, seul des vingt-neuf à avoir été largement transformé pour être équipé de foils. Un gros pari. Sur lequel nous reviendrons.
Pour autant, le millionnaire néerlandais Pieter Heerema – qui avoue sincèrement : « J’ai rencontré des vents forts en Atlantique, mais je ne contrôlais pas tout à fait » – peut-il rivaliser avec un Sébastien Josse, ambassadeur de Rothschild et expert du tour du monde avec notamment le trophée Jules-Verne ou la Volvo Ocean Race ? Et le prometteur Morgan Lagravière, fort du soutien de Safran, pourra-t-il aller chatouiller le bouillant Alex Thomson, emblématique cascadeur d’Hugo Boss, qui rêve d’être le premier étranger à s’imposer sur le terrain de jeu des « Froggies » ?
Et que miser sur Jean-Pierre Dick, souvent victime d’avaries à répétition et auteur d’un insolite record en 2013 après avoir parcouru plus de 2 500 milles sans sa quille ? On ne peut franchement pas l’écarter, pas plus qu’Armel Le Cléac’h, deux fois deuxième du Vendée Globe (2009 et 2013), qui revient pour gagner. Il en a les moyens, la motivation, la monture...
Vincent Riou aussi. Seul ancien vainqueur (2004) présent cette année, il a fait son choix : son « vieux » bateau, optimisé à l’envi. Pas de foils, mais un engin fiabilisé qu’il connaît sur le bout des doigts, avec lequel il est en parfaite osmose. Une arme de guerre, et un guerrier.


Vincent Riou, seul ancien vainqueur au départ. 
(Photo Vincent Curutchet - DPPI - Vendée Globe)

Revenons au stud-book de nos pur-sang. Il reste nombre d’autres monocoques sur la ligne. Dont, notamment, le Macif vainqueur il y a quatre ans, aujourd’hui baptisé SMA, confié à Paul Meilhat, poulain de Michel Desjoyeaux. Son grave accident cet hiver au large des Açores lors de la transat Saint-Bath - Port-la-Forêt (bateau abandonné, hélitreuillage...) a néanmoins sans doute laissé des traces.
Autre ancien bateau victorieux encore en lice, le Foncia de « Mich Desj ». Aujourd’hui propriété de Jean Le Cam. Depuis 2007, le monocoque a couru sous de nombreuses casaques, et récemment remporté la Barcelona Word Race, en double avec le « Roi Jean » et Bernard Stamm. Cependant le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro, qui a bouclé son budget ric-rac dans les dernières semaines, a beau être un animateur patenté de l’épreuve, il le sera sans doute plus sur les ondes que sur l’onde.
Deux autres navigateurs ont enfin une bonne raison de repartir : vaincre le signe indien. L’Indien, Yann Eliès a failli y rester en 2008. Depuis, il s’est offert trois fois la Solitaire du Figaro (comme Philippe Poupon, Jean Le Cam, Michel Desjoyeaux et Jérémie Beyou), ce qui n’est pas rien. Quand à Kito de Pavant, l’Indien, il ne l’a pas encore connu. Démâtage le lendemain du départ en 2008, brutale rencontre avec un chalutier au troisième jour en 2012... Il a un travail à finir.
Faites vos jeux, rien ne va plus...

[À suivre : des outsiders, des bizuths, des aventuriers] 

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