Nous disions donc, dans une précédente chronique (un
post, pour les djeun’s), que le Vendée Globe revendique être une course « sans
assistance ». En solitaire, ça ne se discute pas, même Bubulle, Titi ou Grominet
sont bannis à bord. Sans escale, on l’a dit, c’est facile à vérifier. Mais sans
assistance... ?
En 1989, quand les treize premiers défricheurs
d’océans se sont élancés pour la première fois des Sables-d’Olonne, ils
n’avaient ni ordinateur, ni téléphone satellitaire dernier cri, ni routage
météo à bord.
Aujourd’hui, nul n’imaginerait prendre le départ d’un
Vendée Globe sans de tels outils. Ils sont même imposés par la direction de
course. Mais cela ouvre aussi la porte à de nombreuses dérives potentielles.
Ce passager clandestin-là est autorisé. (Photo Tanguy de Lamotte) |
On peut
imaginer...
Prenons le routage, par exemple. L’organisation de la
course envoie quotidiennement les fichiers météo aux concurrents, qui se trouvent
donc tous sur un pied d’égalité. Ce qui ne les empêche pas d’aller chercher sur le Net
les données qu’ils désirent pour affiner leur analyse. Rien à redire. Sinon,
déjà, que les plus riches sont avantagés quand d’autres doivent limiter leurs
dépenses de communications.
Mais imaginons qu’à terre, un spécialiste de la météo,
routeur reconnu, fasse son analyse personnalisée... et l’envoie par courriel à
« son » skipper. Qui le saurait ?
Imaginons aussi que grâce aux capteurs dont les
voiliers sont bardés (qui permettent notamment à la direction de course de nous
donner les classements chaque jour à heures régulières), une équipe à terre
suive à la minute « son » skipper. Il dort un peu trop longtemps ? Il
devrait empanner un peu plus tôt, un peu plus tard ? Son pilote automatique
pourrait gagner un ou deux degrés en cap ? Pas de soucis, un courriel ou
un coup de fil, et on l’alerte.
Confiance
Mieux – ou pire –, on peut supposer qu’un informaticien
serait capable de mitonner un logiciel aux petits oignons pour prendre la main
sur le pilote automatique, ou entrer dans un programme et paramétrer certaines
données à l’insu de tout contrôle. Qui n’a jamais, dans son entreprise, fait
appel au service informatique pour être dépanné et vu le curseur de sa souris
se balader seul sur l’écran ? Commander un ordinateur à distance est à la portée
du premier venu aujourd’hui, nombre de programmes le permettent aisément – c’est
même une fonction intégrée à Windows depuis son édition 2000 !
On le voit, les possibilités de prendre des libertés
avec le règlement ne manquent pas. Pour autant, le maître mot, c’est confiance,
la direction de course demandant simplement aux skippers de signer un engagement
de loyauté sur l’honneur. « Le marin
est un homme droit qui respecte les clauses de l’Avis de course, se confortait
Jacques Caraës, le directeur de course, dans un récent Ouest-France. On part du
principe qu’on est un sport où les valeurs sont bien respectées ; peut-être qu’on
se trompe, mais je ne l’espère pas... »
Des règles
floues
Pour limiter les risques inhérents à l’évolution
galopante des progrès technologiques, les organisateurs de la Volvo Ocean Race
(course autour du monde en équipage, avec escales) fournissent le matériel
informatique, les conversations radio sont filtrées et écoutées... Bref, ils
tentent de garder le contrôle au maximum et mettent tous les bateaux sur un
même plan. L’école anglo-saxonne face à l’exception culturelle française.
Le problème, c’est que la frontière est ténue, et pas
toujours clairement définie. Prenons l’Avis de course, justement. L’article 3.1.1.
stipule notamment que chaque concurrent devra « faire face seul à tous les événements survenant pendant le Vendée Globe ».
Pour autant, un peu plus loin, on peut lire qu’« en cas d’avarie nécessitant des réparations afin qu’un bateau puisse
finir la course, et/ou qu’un skipper puisse transmettre des éléments de
communication (mails, sons, images), un skipper pourra recevoir des conseils de
la part de son équipe à terre. Mais les réparations devront être effectuées
intégralement par le skipper lui-même ». Si ce n’est pas une forme d’assistance...
Pas le droit
à l’erreur
L’histoire du Vendée Globe regorge d’histoires plus ou
moins extraordinaires dans ce domaine. Michel Desjoyeaux aurait-il gagné en
2001 si son équipe n’avait pas gambergé avant de lui proposer une solution pour
redémarrer son moteur, en panne peu après le départ ? Et Yves Parlier l’Extraterrestre
serait-il parvenu à manchonner deux morceaux de son mât « foudroyé » si,
à terre, un de ses potes n’avait pas « inventé » un four de fortune
afin de solidifier le montage de fortune ?
C’est que les équipes d’assistance, en général, disposent
très exactement du même matériel que celui qu’a embarqué le marin. Ou du moins
en possèdent la liste précise. En cas de coup dur, il est donc aisé de procéder
à une simulation, au calme, sereinement, avant de proposer le plan au skipper.
Parlier l’avait d’ailleurs reconnu à l’époque : compte tenu de la quantité
de « colle » dont il disposait, il n’avait droit qu’à un seul et
unique essai. Dans la quiétude de son atelier aquitain, ses préparateurs n’avaient
pas le même souci, et pouvaient procéder à plusieurs expérimentations. Cela
dit, qu’on ne s’y méprenne pas, cela n’enlève rien aux exploits des hommes (et
des femmes) sur l’eau. Le Dunkerquois Joé Seeten changeant son safran en plein
milieu de l’océan Indien, par exemple, a suscité l’admiration sans bornes du
directeur de course d’alors, Denis Horeau.
Les petits bricolages du bord nécessitent des connaissances et des compétences étendues. (Photo Rich Wilson) |
Dites trente-trois !
Reste enfin un point particulier, qui touche à l’assistance
médicale. Là encore, l’Avis de course, véritable bible de référence, est très
clair.
« L’intervention
directe d’un médecin à bord sera interdite. Pendant la course, l’intervention
d’un médecin ou d’un coach ou d’une équipe à terre, destinée à améliorer les
performances physiques, mentales ou psychologiques d’un skipper sera interdite.
Le conseil médical à distance, et notamment par téléphone, mail,
visioconférence ou autre, sera autorisé. Par conseil médical autorisé, il
convient de comprendre toute intervention à distance par un médecin, destinée à
permettre au skipper de se prodiguer lui-même des soins nécessaires, suite à un
accident survenu à bord ou à l’aggravation d’une pathologie existante. Le skipper
devra avertir le service médical de la course à chaque fois qu’il aura été
amené à solliciter un conseil médical en dehors de ce service. Dans ce cas, le
médecin sollicité devra informer, dans les meilleurs délais, le service médical
de la course de son diagnostic, des prescriptions et conseils délivrés. »
Le docteur Jean-Yves Chauve nous en parlait avant le
départ. « Avec le suivi médical qui
est en place, et les facilités de communication, on pourrait imaginer
téléphoner à un concurrent pour lui dire d’aller dormir s’il veut rester
performant : “Mon vieux, là, tu es en manque de sommeil, tes données
ne sont pas bonnes, et il faut que tu manges, aussi. Allez, lève le pied un
peu, et repose-toi, ça ira mieux après.” »
Une pratique qui s’apparenterait à une forme de dopage...
Ouh que c’est pas beau !
Au
conditionnel
Qu’on s’entende bien. Tout ceci est au conditionnel.
Rien ni personne ne permet de mettre en doute l’intégrité morale des concurrents,
et on ne peut que se rallier à la ligne de foi de Jacques Caraës : le
marin est un homme droit. Franchement, et en toute honnêteté (redondance
assumée), je ne vois pas un seul des vingt-neuf skippers ne serait-ce que
marcher en équilibre sur la ligne jaune. Ou rouge.
Un Rich Wilson ? Un Jean Le Cam ? Un Thomas Ruyant ? Un
Yann Eliès ? Un Bertrand de Broc ? Un Kojiro Shiraishi ? Ce serait folie que d’y
croire. Mais cela n’empêche pas l’organisation de réfléchir à tout cela pour les
prochaines éditions. On n’éradiquera jamais la suspicion. Et si jamais..., il sera
toujours possible de durcir le règlement et de « verrouiller » le
jeu, en filtrant toutes les données. Comme sur la Volvo. Au risque de faire
exploser les coûts, et d’éliminer, de facto, les « petites » équipes.
Je ne me calme pas…
RépondreSupprimerJ’ai brusquement envie de relire Robinson Crusoé, de revoir Tom Hanks dans « Seul au monde »…
Dans l’immédiat, je vais me pencher sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_1903 et, pour le plaisir, analyser les paragraphes « Règlement et organisation », « Parcours »…
Je ne suis pas né à la bonne époque.
Allez-vous-en savoir pourquoi ! (^_^)
C'est sûr, on peut tricher et l'homme (ou la femme) dans le domaine est très imaginatif
SupprimerMais quel intérêt auraient ces marins droits, j'en suis convaincue, de gagner ainsi ?
Continuons à leur faire confiance et à ne pas imposer un flicage outrancier.
Et puis, victoire mal acquise ne profite jamais ...
J'adore le petit pull rayé à capuche et manches courtes!!!
@ Sirène
RépondreSupprimerComme on se retrouve après huit ans ! Cela fait plaisir. C'est également le Captain qui va être content.
Et ça tombe très bien, j'avais besoin d'assistance.
Hello Croco
RépondreSupprimerRavie également de retrouver ce bon vieux crocodile qui depuis le temps ,j'espère, n'a pas perdu une dent !!!
Après une semaine de course, Vincent Riou, tient tête aux foilers... est-ce un excellent skipper ? Un excellent tacticien ? A-t-il un excellent bateau ? Quelle est la part de chance et d'intuition dans une course à la voile comme le VG ?
RépondreSupprimerQuelle est la part du rationnel et de l'irrationnel ?
Vous avez 4 heures pour traiter le sujet, sans assistance et sans escale (même petit coin)
A vos copies !
J’ajoute une question sournoise à celles de Sirène.
RépondreSupprimerSauf erreur de ma part, au moment du départ, à la télé, on a vu surtout (et presque exclusivement) Vincent Riou. Pour quelle(s) raison(s) ? Il est plus télégénique que les autres concurrents ?
Pas de panique Captain et Croco, je serai probablement indisponible quelques heures... Je s'envole pour Madagascar (depuis La Réunion)
RépondreSupprimerDès que j'arrive à destination, Ampefy, je me mets en quête d'une connexion
Bon vent et à très bientôt
Veinarde !
RépondreSupprimerProfitez surtout des lieux où vous vous trouvez et laissez donc de côté l'ordinateur, la tablette, l'AïeMachin ou AilTruc...