11 novembre 2016

Et si on pouvait tricher ?

Nous disions donc, dans une précédente chronique (un post, pour les djeun’s), que le Vendée Globe revendique être une course « sans assistance ». En solitaire, ça ne se discute pas, même Bubulle, Titi ou Grominet sont bannis à bord. Sans escale, on l’a dit, c’est facile à vérifier. Mais sans assistance... ?
En 1989, quand les treize premiers défricheurs d’océans se sont élancés pour la première fois des Sables-d’Olonne, ils n’avaient ni ordinateur, ni téléphone satellitaire dernier cri, ni routage météo à bord.
Aujourd’hui, nul n’imaginerait prendre le départ d’un Vendée Globe sans de tels outils. Ils sont même imposés par la direction de course. Mais cela ouvre aussi la porte à de nombreuses dérives potentielles.
Ce passager clandestin-là est autorisé. (Photo Tanguy de Lamotte)

On peut imaginer...
Prenons le routage, par exemple. L’organisation de la course envoie quotidiennement les fichiers météo aux concurrents, qui se trouvent donc tous sur un pied d’égalité. Ce qui ne les empêche pas d’aller chercher sur le Net les données qu’ils désirent pour affiner leur analyse. Rien à redire. Sinon, déjà, que les plus riches sont avantagés quand d’autres doivent limiter leurs dépenses de communications.
Mais imaginons qu’à terre, un spécialiste de la météo, routeur reconnu, fasse son analyse personnalisée... et l’envoie par courriel à « son » skipper. Qui le saurait ?
Imaginons aussi que grâce aux capteurs dont les voiliers sont bardés (qui permettent notamment à la direction de course de nous donner les classements chaque jour à heures régulières), une équipe à terre suive à la minute « son » skipper. Il dort un peu trop longtemps ? Il devrait empanner un peu plus tôt, un peu plus tard ? Son pilote automatique pourrait gagner un ou deux degrés en cap ? Pas de soucis, un courriel ou un coup de fil, et on l’alerte.
Confiance
Mieux – ou pire –, on peut supposer qu’un informaticien serait capable de mitonner un logiciel aux petits oignons pour prendre la main sur le pilote automatique, ou entrer dans un programme et paramétrer certaines données à l’insu de tout contrôle. Qui n’a jamais, dans son entreprise, fait appel au service informatique pour être dépanné et vu le curseur de sa souris se balader seul sur l’écran ? Commander un ordinateur à distance est à la portée du premier venu aujourd’hui, nombre de programmes le permettent aisément – c’est même une fonction intégrée à Windows depuis son édition 2000 !
On le voit, les possibilités de prendre des libertés avec le règlement ne manquent pas. Pour autant, le maître mot, c’est confiance, la direction de course demandant simplement aux skippers de signer un engagement de loyauté sur l’honneur. « Le marin est un homme droit qui respecte les clauses de l’Avis de course, se confortait Jacques Caraës, le directeur de course, dans un récent Ouest-France. On part du principe qu’on est un sport où les valeurs sont bien respectées ; peut-être qu’on se trompe, mais je ne l’espère pas... »
Des règles floues
Pour limiter les risques inhérents à l’évolution galopante des progrès technologiques, les organisateurs de la Volvo Ocean Race (course autour du monde en équipage, avec escales) fournissent le matériel informatique, les conversations radio sont filtrées et écoutées... Bref, ils tentent de garder le contrôle au maximum et mettent tous les bateaux sur un même plan. L’école anglo-saxonne face à l’exception culturelle française.
Le problème, c’est que la frontière est ténue, et pas toujours clairement définie. Prenons l’Avis de course, justement. L’article 3.1.1. stipule notamment que chaque concurrent devra « faire face seul à tous les événements survenant pendant le Vendée Globe ». Pour autant, un peu plus loin, on peut lire qu’« en cas d’avarie nécessitant des réparations afin qu’un bateau puisse finir la course, et/ou qu’un skipper puisse transmettre des éléments de communication (mails, sons, images), un skipper pourra recevoir des conseils de la part de son équipe à terre. Mais les réparations devront être effectuées intégralement par le skipper lui-même ». Si ce n’est pas une forme d’assistance...
Pas le droit à l’erreur
L’histoire du Vendée Globe regorge d’histoires plus ou moins extraordinaires dans ce domaine. Michel Desjoyeaux aurait-il gagné en 2001 si son équipe n’avait pas gambergé avant de lui proposer une solution pour redémarrer son moteur, en panne peu après le départ ? Et Yves Parlier l’Extraterrestre serait-il parvenu à manchonner deux morceaux de son mât « foudroyé » si, à terre, un de ses potes n’avait pas « inventé » un four de fortune afin de solidifier le montage de fortune ?
Les petits bricolages du bord nécessitent
des connaissances et des compétences étendues.
(Photo Rich Wilson)
C’est que les équipes d’assistance, en général, disposent très exactement du même matériel que celui qu’a embarqué le marin. Ou du moins en possèdent la liste précise. En cas de coup dur, il est donc aisé de procéder à une simulation, au calme, sereinement, avant de proposer le plan au skipper. Parlier l’avait d’ailleurs reconnu à l’époque : compte tenu de la quantité de « colle » dont il disposait, il n’avait droit qu’à un seul et unique essai. Dans la quiétude de son atelier aquitain, ses préparateurs n’avaient pas le même souci, et pouvaient procéder à plusieurs expérimentations. Cela dit, qu’on ne s’y méprenne pas, cela n’enlève rien aux exploits des hommes (et des femmes) sur l’eau. Le Dunkerquois Joé Seeten changeant son safran en plein milieu de l’océan Indien, par exemple, a suscité l’admiration sans bornes du directeur de course d’alors, Denis Horeau.
Dites trente-trois !
Reste enfin un point particulier, qui touche à l’assistance médicale. Là encore, l’Avis de course, véritable bible de référence, est très clair.
« L’intervention directe d’un médecin à bord sera interdite. Pendant la course, l’intervention d’un médecin ou d’un coach ou d’une équipe à terre, destinée à améliorer les performances physiques, mentales ou psychologiques d’un skipper sera interdite. Le conseil médical à distance, et notamment par téléphone, mail, visioconférence ou autre, sera autorisé. Par conseil médical autorisé, il convient de comprendre toute intervention à distance par un médecin, destinée à permettre au skipper de se prodiguer lui-même des soins nécessaires, suite à un accident survenu à bord ou à l’aggravation d’une pathologie existante. Le skipper devra avertir le service médical de la course à chaque fois qu’il aura été amené à solliciter un conseil médical en dehors de ce service. Dans ce cas, le médecin sollicité devra informer, dans les meilleurs délais, le service médical de la course de son diagnostic, des prescriptions et conseils délivrés. »
Le docteur Jean-Yves Chauve nous en parlait avant le départ. « Avec le suivi médical qui est en place, et les facilités de communication, on pourrait imaginer téléphoner à un concurrent pour lui dire d’aller dormir s’il veut rester performant : “Mon vieux, là, tu es en manque de sommeil, tes données ne sont pas bonnes, et il faut que tu manges, aussi. Allez, lève le pied un peu, et repose-toi, ça ira mieux après.” »
Une pratique qui s’apparenterait à une forme de dopage... Ouh que c’est pas beau !
Au conditionnel
Qu’on s’entende bien. Tout ceci est au conditionnel. Rien ni personne ne permet de mettre en doute l’intégrité morale des concurrents, et on ne peut que se rallier à la ligne de foi de Jacques Caraës : le marin est un homme droit. Franchement, et en toute honnêteté (redondance assumée), je ne vois pas un seul des vingt-neuf skippers ne serait-ce que marcher en équilibre sur la ligne jaune. Ou rouge.
Un Rich Wilson ? Un Jean Le Cam ? Un Thomas Ruyant ? Un Yann Eliès ? Un Bertrand de Broc ? Un Kojiro Shiraishi ? Ce serait folie que d’y croire. Mais cela n’empêche pas l’organisation de réfléchir à tout cela pour les prochaines éditions. On n’éradiquera jamais la suspicion. Et si jamais..., il sera toujours possible de durcir le règlement et de « verrouiller » le jeu, en filtrant toutes les données. Comme sur la Volvo. Au risque de faire exploser les coûts, et d’éliminer, de facto, les « petites » équipes.

8 commentaires:

  1. Je ne me calme pas…

    J’ai brusquement envie de relire Robinson Crusoé, de revoir Tom Hanks dans « Seul au monde »…
    Dans l’immédiat, je vais me pencher sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_1903 et, pour le plaisir, analyser les paragraphes « Règlement et organisation », « Parcours »…
    Je ne suis pas né à la bonne époque.
    Allez-vous-en savoir pourquoi ! (^_^)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est sûr, on peut tricher et l'homme (ou la femme) dans le domaine est très imaginatif
      Mais quel intérêt auraient ces marins droits, j'en suis convaincue, de gagner ainsi ?
      Continuons à leur faire confiance et à ne pas imposer un flicage outrancier.
      Et puis, victoire mal acquise ne profite jamais ...
      J'adore le petit pull rayé à capuche et manches courtes!!!

      Supprimer
  2. @ Sirène
    Comme on se retrouve après huit ans ! Cela fait plaisir. C'est également le Captain qui va être content.
    Et ça tombe très bien, j'avais besoin d'assistance.

    RépondreSupprimer
  3. Hello Croco
    Ravie également de retrouver ce bon vieux crocodile qui depuis le temps ,j'espère, n'a pas perdu une dent !!!

    RépondreSupprimer
  4. Après une semaine de course, Vincent Riou, tient tête aux foilers... est-ce un excellent skipper ? Un excellent tacticien ? A-t-il un excellent bateau ? Quelle est la part de chance et d'intuition dans une course à la voile comme le VG ?
    Quelle est la part du rationnel et de l'irrationnel ?
    Vous avez 4 heures pour traiter le sujet, sans assistance et sans escale (même petit coin)
    A vos copies !

    RépondreSupprimer
  5. J’ajoute une question sournoise à celles de Sirène.
    Sauf erreur de ma part, au moment du départ, à la télé, on a vu surtout (et presque exclusivement) Vincent Riou. Pour quelle(s) raison(s) ? Il est plus télégénique que les autres concurrents ?

    RépondreSupprimer
  6. Pas de panique Captain et Croco, je serai probablement indisponible quelques heures... Je s'envole pour Madagascar (depuis La Réunion)
    Dès que j'arrive à destination, Ampefy, je me mets en quête d'une connexion
    Bon vent et à très bientôt

    RépondreSupprimer
  7. Veinarde !
    Profitez surtout des lieux où vous vous trouvez et laissez donc de côté l'ordinateur, la tablette, l'AïeMachin ou AilTruc...

    RépondreSupprimer