27 novembre 2016

Tous masos !

Trois semaines... Un peu plus d’un quart de la course... Autant dire rien, même si ma hiérarchie s’est très nettement dessinée. Mais on sait depuis toujours qu’il suffit d’une « bricole » (enfin, si tant est qu’un OFNI soit une bricole !) pour bousculer un podium théoriquement bien établi. Ce qu’il n’est pas encore, d’ailleurs.
Se coucher tout habillé sur un pouf à billes, c'est le quotidien des skippers.
(Photo Vincent Curutchet - DPPI - Vendée Globe)
Trois semaines, et des questions qui reviennent, lancinantes. Comme celle que posait Martin Bazin, finaliste de Koh Lanta, à Jean Le Cam samedi midi lors du « Vendée Live » : « Qu’est-ce qui ne va pas bien dans ta tête pour faire un quatrième Vendée Globe ? » Comme si trois ne suffisaient pas...

Le Roi Jean ne s’est évidemment pas laissé démonter, et en conclusion d’un discours verbeux – et drôle – dont il a le secret, il assenait avec son habituel bon sens paysan – même s’il n’a pas toujours les pieds sur terre : « L’avantage de naviguer en solitaire, c’est que personne ne voit les conneries que tu fais ! »
Imparable. Mais pour autant, « Jeannot la Gâchette », « Vincent le Terrible » et consorts n’ont nul besoin d’aller labourer l’écume par 40° sud. La baie de Port-la-Forêt suffirait amplement. Une fois, histoire de constater par soi-même que la Terre est ronde, passe encore... Mais deux, trois, quatre... ?
Eux parlent de plaisir. Moi, je pense masochisme. On parie ?

Opération bricolage sur les pilotes automatiques pour Éric Bellion.
Rien de folichon
Trois mois (sans doute quatre pour les derniers) de quasi-solitude, c’est déjà un choix, d’autant que le forfait téléphonique est loin d’être illimité, et qu’il faut casser sa tirelire à chaque appel. Et le quotidien n’a rien de bien folichon, aux antipodes de « La Croisière s’amuse ». Quatre à six heures de sommeil, au mieux, « éparpillé par petits bouts, façon puzzle ». Des menus fadasses (les plats lyophilisés ont beau s’être grandement améliorés, leur sapidité s’émousse rapidement au fil des repas), si tant est que l’on puisse les appeler repas. Un boulot de galérien entre les changements incessants de voiles pour être toujours au top, le matossage éreintant, les manœuvres épuisantes, les interminables heures à la table à cartes pour les analyses météo, les photos et les vidéos impératives, les courriels nécessaires, les vacations obligatoires, le bricolage ininterrompu, le « check » régulier et minutieux du monocoque... Sous les tropiques, ils ont trop chaud. Dans le Grand Sud, ils pestent contre le froid. Ajoutez à cela, parfois, de longues heures à la barre quand le pilote automatique n’a pas la finesse ni le « toucher » du régatier... Le bateau qui tape des jours durant, le bruit incessant, l’inconfort récurrent, l’humidité permanente – à ces vitesses-là, la plupart du temps, être sur le pont, c’est s’exposer à une lance à incendie continue... Liste bien évidemment non exhaustive.
L'heure du repas : une bouilloire, une cuillère et une gamelle suffisent.
(Photo Jacques Vapillon - No Way Back)

Hygiène limite
Et ça, c’est quand ça roule. Quand le bateau ne part pas brutalement « au tas », une fois au lof, une fois à l’abattée. Quand il ne faut pas grimper au mât, plonger sous la coque, jouer à l’équilibriste sur le bout-dehors, ramper dans le compartiment moteur, transpirer dans la soute à voiles, s’engager dans les réparations lourdes... Le (seul) double vainqueur de l’épreuve le claironne à qui mieux mieux : « Le Vendée Globe, c’est un emmerde par jour. »
Le tout – âmes sensibles s’abstenir – baignant dans une hygiène souvent limite, parfois douteuse. Qui a jamais navigué quelques jours au sein d’un équipage de « mâles » sait qu’il doit impérativement s’adapter aux « fragrances » de ménagerie qui s’invitent systématiquement dans le carré. Entre Bonne-Espérance et le Horn, pas de douche au menu. La toilette est souvent sommaire (merci les lingettes !), la barbe gratte, les cheveux collent de sel, les pieds macèrent des semaines dans les bottes, les infections aux poignets se développent avec les manchons étanches des vêtements, et la manucure pointe aux abonnées absentes. Nous nous abstiendrons pudiquement d’insister plus avant...
Une combinaison sèche, avec manchons étanches :
irritations assurées en milieu marin.
Alors oui, ils sont masochistes. Mon dictionnaire est très clair à ce sujet : « Comportement d’une personne qui trouve du plaisir à souffrir. »

J’avoue, je ne peux jamais m’empêcher d’avoir un petit sourire en coin quand ils parlent de plaisir. Le seul que je leur reconnaisse, en toute mauvaise foi, c’est uniquement celui de poser de nouveau le pied sur le « plancher des vaches »...

13 commentaires:

  1. Si un psy nous lit, qu'il se manifeste pour essayer de nous expliquer ce qui motive des êtres humains(?)à s'embarquer dans pareilles aventures... Le Vendée Globe mais aussi par exemple le Marathon des Sables dans le désert sud marocain...

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  2. Armel Le Cléac'h a pris la tête de la course, devant Alex Thomson 007 (voir les vidéos conseillées par Captain dans "les moustaches du diable"), ce qui tend à prouver que les foils sont un vrai plus au niveau de la vitesse.
    Une remarque : Paul Meilhat est 4ème et SANS foils. On ne parle pas beaucoup de lui mais il fait une très belle course.
    Une question : sous quelles allures les foils sont utilisables ? et les plus efficaces ?

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    1. @ Sirène

      Personne n'a jamais douté de l'apport des foils en matière de vitesse. Et je vous rejoins tout à fait quant à la performance remarquable de Paul Meilhat sur l'ancien « Macif » du dernier vainqueur du Vendée Globe, François Gabart.
      Quant à votre question à double détente, elle appelle une réponse hyper simple : au portant (voir la définition dans la page Lexique, colonne de droite).
      Un foiler, pour parodier Renaud, « dès que le vent soufflera, il décollera...». Enfin, si ledit vent pousse dans le bon sens.

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  3. Ils ne sont pas seulement masos mais aussi complètement fêlés : ce sont des cinglés qui… cinglent vers la victoire.
    Peut-on vivre à fond une passion sans être un peu taré ?
    Je t’aime passionnément... à la folie.
    Je plains sincèrement les gens qui n’ont aucune passion.
    Je plains plus encore l’entourage de ceux qui en ont trop.

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  4. Pas terrible le site de Come in Vendée… ou alors je m’y prends mal.
    Une question Captain mais vous n’êtes pas obligé d’y répondre si c’est trop compliqué. C’est une simple curiosité.
    Si Jeff Pellet était parti en même temps que les autres, quelle serait (grosso modo) sa position actuelle dans le classement ?
    Une autre question. Je pense avoir lu que c’était la SNSM qui avait tracté le bateau de Jeff dans le chenal des Sables-d’Olonne. C’est un cas particulier ?

    Joli le cœur de Lamotte avant de rentrer !

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    1. @ Croco

      Je vous l’accorde, le site de Jeff Pellet n’est pas des plus agréables. Faute de retombées médiatiques (donc commerciales ?) immédiates, j’imagine qu’on a fait dans le minimalisme, question budget. L’homme n’a apparemment pas d’attaché de presse !
      Néanmoins, pour accéder aux informations de base – là encore, un journal de bord manque cruellement – et suivre la progression du « bateau pirate », il faut, comme indiqué, cliquer « sur la photo ci-dessous », puis – astuce – dans la cartographie, cliquer sur le petit voilier posé sur le fond de carte... vierge ; et enfin cocher la case « Afficher le parcours » pour voir s’afficher le tout.
      Quant à savoir où en serait le trentième skipper de ce tour du monde dans le peloton actuel, c’est la bouteille à l’encre. Je sèche. Tout simplement parce que les conditions météo étaient radicalement différentes à une semaine d’écart. Déjà que dans la flotte officielle, on constate des écarts jamais vus... Pour en avoir une (toute petite) idée, il faudrait disposer d’un logiciel de routage professionnel (type Adrena ou MaxSea) sur son ordinateur, connaître les caractéristiques particulières du voilier concerné (polaires de vitesse, plages d’utilisation de jeu de voiles embarquées...), intégrer virtuellement le monocoque au départ du 6 novembre, ajouter l’âge du capitaine, touiller le tout... Bref, ça dépasse mes compétences, et mon budget, moi aussi.
      Enfin, pour ce qui concerne le remorquage de « Come in Vendée » (quel affreux nom !) dans le chenal pour quitter le port des Sables-d’Olonne, je peux avancer une hypothèse : Jeff Pellet aurait plombé son arbre d’hélice pour respecter le règlement de la course, et donc son moteur en marche ne servirait grosso modo qu’à recharger ses batteries et/ou à faire tourner ses équipements électriques ; un peu comme un moteur de voiture quand l’embrayage est au point mort. Les concurrents du Vendée Globe, si je ne m’abuse, plombent leur arbre de moteur en mer, dans la zone de départ, et envoient une photo justificative à la direction de course ; de toute façon, les jaugeurs, à l’arrivée, vérifient le tout.
      Symboliquement, lors de la première édition, les treize bateaux furent sortis par autant de chalutiers olonnais, pour marquer la solidarité des gens de mer, qui est censée ne former qu’une seule et grande famille.

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    2. Merci Captain.
      Sur le site de Jeff Pellet, j’avais bien cliqué sur le bateau perdu dans rien du tout pour afficher le parcours mais cela ne m’avançait pas beaucoup. Moi, je le plains de tout mon cœur d’être ainsi un capitaine abandonné. Ma question concernait la distance parcourue par exemple les quinze premiers jours par Jeff. Est-elle comparable à celle franchie par les skippers également dans les quinze premiers jours ? Autrement dit, était-il au niveau ?
      « Come in Vendée », c’est vraiment moche. Pour établir mes favoris, je me base le plus souvent sur… le nom du skipper ou sur le nom du bateau. C’est une déformation. Ainsi, si je lis Rothschild ou Le Cléac’h, je suis un peu plus attiré. C’est maladif, ne vous inquiétez surtout pas. Il paraît que l’on ne guérit jamais ou si peu de ce virus.

      Il ne faudra pas vous inquiéter outre mesure du commentaire qui suit et qui a trait à l’argent.
      Ce sujet-là est aussi dans mes tripes d’où une certaine sympathie pour Jeff Pellet qui a fait d’énormes efforts financiers pour pouvoir participer à cette course. Je préfère, et de beaucoup, que ce soit un homme qui gagne plutôt que son portefeuille. Un homme ou une femme…La touche féminine me manque dans ce Vendée Globe. Où sont les descendantes de Florence Arthaud, Maud Fontenoy, Isabelle Autissier, Ellen MacArthur (je l’adorais), Samantha Davies… ?

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  5. Je viens de découvrir :
    https://lenord.fr/jcms/prd1_393572/thomas-ruyant
    Je lis :
    « Le Souffle du Nord pour le Projet Imagine » sera le seul monocoque IMOCA 60 à ne pas porter de valeurs commerciales… avec tout de même le soutien de 120 entreprises de la maison.
    Cela me dépasse complètement. Je pense avoir toujours été le défenseur du pauvre, de la veuve (du veuf) et de l’orphelin, de l’opprimé… et de la cause perdue.
    Pour Tanguy de Lamotte, je ressens aussi un malaise : on dépense d’énormes sommes pour en récolter un peu au profit d’une œuvre caritative ou quasi-charismatique.
    J’aimerais un avis réellement neutre sur ces deux questions afin d’y voir plus clair.
    C’est un point sur lequel je dois encore sans doute mûrir. Il me manque quelques briques. J’aimerais me convaincre moi-même, tout seul, comme un grand. J’ai simplement besoin d’un catalyseur.
    Qui tentera ou osera me sortir de l’ornière ?

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    1. Le bateau de Thomas Ruyant ne porte pas de valeurs commerciales, la preuve : saviez-vous que la petite entreprise pour laquelle je travaille a participé (à sa mesure) au financement du projet Vendée Globe-Thomas Ruyant. Certes la motivation de mon patron est d’abord la passion de la voile et la sympathie pour Thomas… et par ricochet ça profite à l’association.
      Là où je vous rejoins, mon cher Croco dont j’apprécie beaucoup les commentaires (et ce n’est pas de la flagornerie), c’est qu’effectivement le « retour sur investissement » au profit d’œuvres caritatives… je demande à voir !!!
      On se sert d’associations caritatives comme alibi et peut-être aussi (c’est une hypothèse) pour soutirer un peu d’argent public.
      Le seul mérite qu’on peut concéder est que ces bateaux engagés au nom d’une association font travailler du monde pendant un certain temps. Espérons seulement qu’un certain pourcentage de ces emplois soit attribués à des gens qui avaient besoin de retrouver des rails.
      Honnêtement, je préfère les choses claires et qu’on appelle un chat un chat, les valeurs commerciales affichées ne me dérangent pas. C’est surement moins hypocrite.

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    2. @ Sirène

      Nous sommes entièrement d'accord. Nous ne disons pas les choses de de la même manière mais le fond reste le même.

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    3. Pour amuser la galerie...
      Jeudi soir lors de la manifestation rassemblant responsables et soutiens du Souffle du Nord au siège de la Région des Hauts-de-France, certains ont souri. Notamment quand on a fait valoir que Thomas n'arbore aucune "publicité" sur sa coque ni ses voiles, comme celle "d'un marchand de sandwichs". C'était oublier que Sodebo est partenaire majeur, depuis des années, de la course. Et qu'à ce titre, il s'affiche clairement dans la grand-voile de tous les concurrents. N'en déplaise au colibri...

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  6. Superbe vidéo de la marine nationale sur les deux premiers de la course. Quand on voit les skippers à l'oeuvre, c'est loin d'être tout repos. Chapeau ! J'admire et je ferais bien d'être moins critique.

    Abandon de Jeff Pellet. Come back in Vendée !

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  7. Voilà quelques jours que tout le monde morfle... des vents forts et pas stables, une mer hachée ou une forte houle, des manœuvres et changements de voiles fréquents, du bruit et des mouvements brutaux du bateau...
    Quand on lit les messages des skippers on se rend compte que ça doit être dur, très dur, physiquement et mentalement.
    Jean le Cam envoie un message brouillon, il dit que c'est dur et répète à l'envi qu'il est content... Certainement qu'un de ses traits de caractère est l'optimisme, mais quand même on a l'impression qu'il a fumé la moquette !
    Au fait les skippers se dopent-ils ? Ou fument-ils un petit joint à l'occasion quand le moral est en berne ? qu'est ce qui est autorisé et qu'est ce qui ne l'est pas ?

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